Les gens ont bien des opinions sur la retraite, la leur et celle des autres. Que signifie le mot « retraite »? En général, nous l’entendons comme le fait de se retirer ou de cesser de travailler, de se retirer de la vie structurée productive qui nous a soutenus, mais aussi retenus. Se retirer de la vie dans laquelle nous nous trouvons, généralement depuis des décennies, par choix ou par accident (ou un peu des deux). La question qui se pose alors est la suivante : se retirer vers quoi?

Nombreux sont ceux qui se réjouissent à l’idée de laisser derrière eux le stress et les contraintes de leur travail. Ils ont soigneusement planifié leur stabilité financière pour continuer à mener la vie à laquelle ils se sont habitués, se promettant de voyager davantage, de ralentir et de « profiter de la vie », la plupart du temps sans avoir vraiment réfléchi à ce que cela signifiait pour eux. Nombreux sont ceux qui ont préparé des projets qu’ils vont enfin réaliser : rénover leur cuisine, faire l’aménagement paysager de leur propriété, numériser leurs photos ou les ranger dans des albums. Ces projets prennent quelques mois pour être réalisés et ensuite quoi?

Lorsque nous prenons notre retraite, c’est souvent sans penser que notre vie ne sera pas « la même, mais avec plus de temps ». Les recherches suggèrent que nous donnons le meilleur de nous-mêmes lorsque nous sommes confrontés à un défi, voire à un certain stress. Lorsque nous laissons ce défi avec les clés de notre bureau, nous perdons plus que nous ne le pensons. Si nous ne relevons pas de nouveaux défis en dehors du lieu de travail, nous risquons de perdre une sorte de tonus ou d’acuité mentale que nous procuraient précisément les contraintes et le stress liés au lieu de travail. Si on ne fait pas attention, notre retraite peut entraîner un déconditionnement de notre acuité mentale.

Qu’arrive-t-il à notre identité lorsque nous quittons le lieu de travail? La culture nord-américaine accorde une grande importance à notre travail et tente, souvent avec succès, de nous définir par notre parcours professionnel. L’une des premières questions que l’on nous pose lorsque nous rencontrons quelqu’un est « Vous faites quoi »? Qui sommes-nous alors lorsque nous rendons nos clés et que nous ne sommes plus directeur, psychologue, ingénieur, cuisinier, ouvrier d’usine? Qui est cette personne qui nous regarde dans le miroir?

Lorsque nous laissons nos clés, nous laissons également la communauté avec laquelle nous avons passé une grande partie de notre temps, les personnes avec lesquelles nous avons partagé des histoires. Même si nous n’avons pas spécifiquement choisi ces personnes, nous avons tissé des liens grâce aux heures que nous avons passées ensemble. Il n’est pas acquis que ceux que nous laissons derrière nous voudront ou pourront nous suivre pendant notre retraite, et ce n’est même pas nécessairement quelque chose que nous souhaitons. Nous perdons une partie de ce qui nous tient ensemble : nos objectifs communs, nos rendez-vous quotidiens et notre proximité physique régulière. À la retraite, les relations de travail que nous souhaitons poursuivre peuvent ne pas continuer. Sans prévoyance ni planification, nous risquons de nous retrouver isolés.

En attendant la retraite, nous avons hâte d’abandonner la tyrannie du « 9 à 5 » : se lever tôt, se plonger dans notre routine alors que nous préférerions, pensons-nous, rester au lit un peu plus longtemps, prendre notre temps pour prendre connaissance des nouvelles, enfiler nos vêtements confortables, nous blottir sur le sofa avec un livre, faire un peu de jardinage, prendre une deuxième tasse de café ou de thé ou aller découvrir ce nouveau café. Ou peut-être est-ce l’attrait du matin sans circulation : pas d’embouteillages, de routes verglacées, de cônes orange, de métros remplis ou de bus qui n’arrivent pas, ce qui fait grimper notre pression avant même d’être rendu au bureau! Mais combien de temps s’écoule-t-il avant qu’un sentiment de léthargie et d’inutilité ne s’installe ? Que faites-vous de ces années d’expertise et d’expérience que vous avez accumulées à grand-peine, qui ne sont plus utilisées et qui accumulent la poussière dans votre espace mental?

La retraite peut également avoir un impact important sur les relations amoureuses. Tout à coup, vous vous retrouvez 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, avec votre conjoint, les enfants (si vous en aviez) ayant quitté le nid familial. Vous pouvez vous rendre compte que vous avez pris votre partenariat comme acquis, en vous concentrant plutôt sur votre carrière ou vos enfants (ou les deux), ce qui vous laisse aujourd’hui avec une relation vidée de sa substance, votre conjoint ayant son propre emploi du temps et poursuivant des intérêts qui ne vous concernent pas nécessairement ou qui ne vous intéressent même pas. Peut-être que les enfants vous considèrent maintenant comme un service de gardiennage gratuit (ce qui est très bien si c’est ce que vous espériez), mais ce n’est peut-être qu’un pis-aller, une activité pour meubler votre temps, puisque vous n’aviez pas prévu autre chose. Et si vous n’êtes pas en couple, l’espace était-il bien rempli par votre travail et ses activités connexes? Où trouverez-vous du renforcement positif, de la tendresse, une oreille attentive, du sexe, autant d’éléments considérés comme utiles pour vivre heureux?

Pendant des années, notre travail nous a permis de structurer nos journées, de former une communauté, de relever des défis et de trouver un sens ou un but, même si ce sens consiste simplement à subvenir à nos besoins et à ceux de notre famille. Lorsque le moment de la retraite arrive, un monde de temps et de choix s’ouvre à nous… avec peu de motivation ou de pression extérieure. Par où commencer pour créer la prochaine partie d’une vie épanouie et bien remplie? La réponse se trouve dans la partie 2.

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